Nous soussignés représentons près de 45 000 travailleurs et travailleuses au Québec, membres des sections locales, 931, 106, et 1999 du Syndicat des Teamsters.
Il y a quelques mois, nous unissions nos voix, et rejoignions consœurs et confrères partout au Québec, afin de condamner le projet de loi 89 de la Coalition Avenir Québec, une loi qui vient donner des pouvoirs quasi dictatoriaux au ministre du Travail de la province, en lui permettant de mettre fin à des conflits de travail comme bon lui semble, en plus d’enlever tout son sens à ce qu’est un service essentiel.
Contre les syndicats et les travailleurs et travailleuses qu’ils représentent, le milieu des affaires, ainsi que les chroniqueurs de droite aplaventristes du Québec, se sont dressés en véritable porteur d’eau de la vision des relations de travail du gouvernement. Un bel exemple est ce texte de Gabriel Giguère, Analyste senior en politiques publiques du lobby de droite l’Institut économique de Montréal (IEDM), paru dans La Presse dernièrement.
Dans ce texte, M. Giguère déplore le nombre croissant de grèves au Québec, répétant que la province serait responsable de 90 % des arrêts de travail au pays, et suggère que les syndicats auraient abusé du droit de grève, et ce, au détriment de la population. Il présente les grèves légales comme un fléau qui perturbe les services publics, nuit aux familles, freine l’économie et qu’il faudrait donc encadrer davantage. Il applaudit l’adoption du projet de loi 89, qualifiant cette attaque en règle contre les droits des travailleurs de « pas dans la bonne direction ». Bref, une vision patronale sans nuances, qui fait fi des causes profondes de cette colère sociale.
Plusieurs choses à considérer
Ce texte de l’analyste Giguère nécessite une réponse, en ce qui nous concerne.
Tout d’abord, rappelons que la grève est un droit constitutionnel reconnu par la Cour suprême comme étant essentiel à la liberté d’association. En effet, sans la possibilité réelle de grève, les négociations perdent leur sens car l’employeur n’a plus d’incitatif réel à négocier de bonne foi.
De plus, le nombre record de grèves reflète avant tout une détérioration importante des conditions de travail, notamment dans les services publics. On pense, entre autres, aux salaires insuffisants, surcharge de travail, pénurie de main-d’œuvre, et conditions devenues intenables dans le réseau de la santé et de l’éducation.
M. Giguère, comme plusieurs de ses confrères et consœurs de droite, s’épouvante du fait que le Québec fait plus de grèves que le reste des autres provinces. En ce qui nous concerne, si le Québec concentre 90 % des grèves, c’est en partie parce que les travailleurs et travailleuses d’ici exercent activement leurs droits démocratiques plutôt que d’accepter des conditions imposées. Le Québec a historiquement une tradition syndicale forte et une culture démocratique active qui favorise la mobilisation collective. Ce n’est pas pour rien que le Québec a l’un des plus hauts taux de syndicalisation au pays, avec près de 40% des travailleurs et travailleuses qui sont syndiqués ! Dans son texte, il parle comme si les grèves étaient prises à la légère. Pourtant, une grève est coûteuse pour les travailleurs et travailleuses eux-mêmes, qui perdent du revenu et prennent un risque personnel important. Ce choix n’est jamais fait à la légère. Les syndicats privilégient toujours la négociation, la grève survenant uniquement lorsque l’employeur refuse de dialoguer sérieusement.
Et de façon plus large, le gouvernement dispose déjà des mécanismes nécessaires pour assurer la continuité des services essentiels sans restreindre davantage le droit de grève des travailleurs et travailleuses. Dans les secteurs comme la santé, la sécurité publique ou les transports, des seuils de service minimaux sont déjà garantis par la loi.
Cette nouvelle loi 89 vient affaiblir le pouvoir d’achat futur de la classe moyenne. Sans un rapport de force équilibré, les salaires risquent de stagner davantage, affectant directement le pouvoir d’achat et l’économie locale. Il ne faut pas avoir étudier longtemps pour comprendre que les gains obtenus par les luttes syndicales se répercutent directement dans l’économie du Québec par une consommation accrue.
En ce qui nous concerne, si le gouvernement souhaite réellement éviter les grèves, il doit s’attaquer aux causes profondes. Juste dans la sphère publique, des investissements substantiels permettraient de stabiliser les réseaux de l’éducation et de la santé, réduisant naturellement le besoin de recourir aux grèves.
Nous appelons donc au dialogue plutôt qu’à la confrontation législative. Les interventions unilatérales, comme la loi 89, tendent à exacerber les tensions plutôt que de les résoudre. Les grandes avancées sociales au Québec ont toujours résulté d’un dialogue ouvert entre syndicats, employeurs et gouvernements plutôt que d’une approche répressive.
En tant que syndicalistes, nous avons l’ambition de faire du Québec un endroit meilleur pour les travailleurs et les travailleuses, où tous pourront gagner leur vie dignement, n’en déplaise aux bonzes de la droite. Il ne reste plus beaucoup de temps au gouvernement Legault, et nous travaillerons fort pour que le prochain gouvernement soit plus humain et mette travailleurs et travailleuses de l’avant.
Denis Ouellette
Président, Local 106
Pierre-André Blanchard
Président, Local 931
Jean-François Pelletier
Président, Local 1999